Qui sont les discothécaires ?

Vie et coulisses des médiathèques
Un dessin de pochette et d'un vinyle. Sur la pochette, le logo des Médiathèques "Les M"

Conversation avec quatre discothécaires de Rennes Métropole pour mieux connaître cette spécialité au sein des médiathèques !

Après un premier focus dédié aux discothécaires, nous continuons à explorer ce métier, cette fois sous l'angle de l'interview croisée.

Quatre collègues métropolitains se sont prêtés au jeu des questions et ont accepté d'échanger autour de leur métier et de ses spécificités :

Dominique, Jean-Jacques, Pierre, Steven

Un grand merci à eux et bonne lecture !

 

Pourquoi des bibliothécaires spécialisés dans la musique ?
 

Il n'y a pas d’enjeu pécuniaire dans notre domaine, pas d’obligation de surexposer tel ou tel artiste, nous dit Jean-Jacques de la médiathèque Lucien Herr de Saint Jacques-de-la-Lande. L’idéal est de satisfaire et fidéliser notre abonné en lui proposant, ce qui lui plait ou pourrait lui plaire : un titre, un album, un artiste, un instrument, une partition, une revue, une radio, une application, un concert... Cela implique de "faire de la veille" (suivre l'actualité musicale), avoir une bonne maîtrise de notre domaine, de nos collections, de nos publics, et donc, être spécialisé.

Pierre de la bibli Antipode de Rennes complète :  Je pense que si on veut apporter satisfaction à nos usagers, il faut connaître nos collections, donc c'est bien d'avoir une spécialité, cela va de soi. Il faut avoir une appétence pour le domaine musical, être curieux.

Et Dominique de la médiathèque de Pacé conclut : Chaque secteur documentaire nécessite une « expertise » et une bonne connaissance de la production éditoriale. 

 

Comment mettre en valeur la musique dans les bibliothèques ?
 

Ce qui primordial c'est le trio "espace dédié, collections, médiations ! "

Les espaces dédiés à la musique :
 

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L'espace musique de la Bibli Antipode

Jean-Jacques : Il est important que ce soit un cadre convivial, confortable, propice au partage. J'imagine un espace qui donne envie au public de s’installer pour écouter la dernière radio MusicMe diffusée par une borne, ou écouter au casque, en excellente qualité, l’album du groupe programmé prochainement dans la SMAC (Scène de Musique Actuelle) voisine.L'usager y trouve aussi un fauteuil design et confortable pour lire un magazine spécialisé, avant de tester un nouvel instrument qu’il envisage d’emprunter. Il peut toujours consulter les nouveautés (CD, vinyles, songbooks…), puis fureter dans les bacs, parcourir les affiches et programmes des manifestations locales, et avant de repartir avec ses prêts, jeter un œil aux petites annonces musicales affichées sur un panneau.

Pierre : Oui c'est important d'avoir un espace identifié comme c'est le cas à la bibli Antipode où la musique est en vitrine et très visible dès l'entrée. Cela doit aussi être possible de diffuser de la musique, sortir de l'image de la bibliothèque silencieuse. La diffusion musicale fait du lien avec nos collections.

 

Les collections : 

Pierre : Je remarque que depuis 10-15 ans, ce qui marche bien ce sont les "collections hybrides" (allier le numérique et les supports physiques). Côté numérique, je pense aux playlists, aux Web-radio, à MusicMe, aux sélections en ligne, aux podcasts de musique… Mais attention !  Une ressource numérique, il faut la valoriser, la médiatiser, c'est différent d'un fonds tangible. De même, les vinyles reviennent en force depuis une dizaine d'années, et on prête aussi des instruments de musique. C'est, à mon sens, quelque chose d'indispensable, mais cela nécessite d'avoir des moyens humains et financiers en conséquence et d'avoir des personnes motivées avec des compétences dans le domaine.

Jean-Jacques : Pour les collections, je pense qu'il est indispensable de proposer tous les types de supports pour toucher différents publics : CD, vinyles, musique en ligne, instruments de musique, partitions, revues… 

 

Les médiations :

De gauche à droite : Moment musical "Trois petites notes, trois petits livres" à la médiathèque de Saint-Jacques  /  Salon d'écoute et piano à la médiathèque de Saint-Grégoire

Dominique : À la médiathèque de Pacé, la médiation passe par des animations, conférences, concerts, showcases mais également de façon plus classique : avis sur la page Facebook de la médiathèque et sur le site, quiz, blind tests, radio MusicMe... Je réalise parfois des bacs thématiques : soirée barbecue, mariage, musique pour garder la forme... Et la médiathèque s'implique dans le projet Ziklibrenbib et notamment à l'élection de l'album de l'année.

Jean-Jacques : À la médiathèque, on peut retrouver des propositions en partenariat avec des festivals, des associations, l’École de musique, des interviews ou/et showcases d’artistes en résidence dans la SMAC voisine (L'Aire Libre), des expos, des conférences, des ateliers d’écriture de chansons, de MAO (Musique Assistée par Ordinateur), et parfois, en plus des concerts à la médiathèque, des propositions hors les murs en collaboration avec l'Épi Condorcet étoffent la programmation, comme les 4 Cabarets-concerts/an de musique du monde + buffet thématique.

Pierre : La mise en valeur de la musique passe par les médiations, les actions culturelles avec ou sans partenaires. À la bibli Antipode c'est plus simple car la SMAC est sur place. Son rôle est aussi de promouvoir la musique vivante, de proposer des mini-concerts, des showcases, de promouvoir la musique amateur, les groupes ou musiciens locaux. La bibli se doit d'être tremplin pour les artistes. Ce qui marche bien, ce sont les jeux liés à la musique, les blind tests... cela implique d'être créatif.

Steven de la médiathèque de Saint Grégoire : Dans notre médiathèque, outre la mise en valeur des collections par des tables de présentation et des sélections discographiques, il y a un salon d’écoute sur place, un piano pour contribuer à développer la pratique amateur, ainsi que des auditions régulières des élèves de l’école de musique. Cinq à six fois dans l’année, un concert en soirée permet aussi de faire vivre l’espace et ces moments rencontrent un vif succès.

 

Comment se passent les acquisitions musique dans votre structure ?
 

Dominique : À Pacé, nous avons cinq commandes par an chez notre fournisseur en fonction des sorties, des critiques, des suggestions. Je m'appuie également sur le comité musique de la MDIV.

Steven : À Saint-Grégoire, les acquisitions se font auprès de deux disquaires à Rennes, qui couvrent chacun des genres musicaux différents et sont donc complémentaires. De plus, ils proposent tous les deux de nombreux disques de la scène locale. Je privilégie la diversité en essayant de représenter un maximum de genres musicaux. Un important travail de veille permanente est réalisé en amont, mais je suis aussi ouvert aux suggestions du public et des disquaires en question. J’effectue 2 à 3 commandes par an.  2/3 du budget est consacré aux vinyles et 1/3 aux CD.

Jean-Jacques : Côté acquisitions, je me fournis essentiellement chez les disquaires locaux. Le conseil est primordial pour moi. Pour le choix, je fais aussi de la veille (radio, Internet, revues…) et j’écoute les retours du public. Je prends aussi les artistes programmés dans les salles ou les festivals locaux.

Pierre : Les acquisitions sont réparties par genre musical qui sont les domaines d'expertise de 5 bibliothécaires du réseau. Ces derniers passent les commandes pour l'ensemble des 11 biblis de quartier de Rennes. Une commande est envoyée chaque mois pour être au plus proche de l'actualité. Nous passons par un fournisseur web exclusif, lié à un marché public. Les vinyles et la scène locale (artistes rennais et alentours) sont achetés chez les disquaires, qui -  heureusement pour nous -  ne manquent pas à Rennes !

 

Comment voyez-vous le métier de discothécaire ?

 

Jean-Jacques : En constante évolution ! Le premier moteur de ce métier est la passion, et il en faut, pour toujours s’adapter, innover, rester attractif… Peut-être encore plus depuis la pandémie, l’attente la plus forte du public est de jouir d’un troisième lieu, c’est-à-dire se retrouver, se croiser, échanger, dans un cadre agréable, jouir de propositions diverses et variées autour de la musique. À l’heure où les publics peuvent avoir accès à tout (ou presque) en ligne, le prêt de documents musicaux n’est plus l’essentiel de notre travail. L’action culturelle prend une place toute aussi importante. La socialisation autour des contenus culturels, l’écoute et le soutien des pratiques musicales sont aussi les axes à privilégier. En bref, nous sommes des découvreurs, des médiateurs, nous sommes la "4ème de couv." des CD et des vinyles, une main qui accompagne le public vers du live, vers un instrument de musique,…

Pierre : Ce métier a largement évolué depuis 14 ans que je suis discothécaire, et ce n'est pas fini ! La musique a changé dans toutes ses approches, et a autant de modes de consommation que d'usagers. L'apparition du numérique, les nouveaux modes d'écoute, les nouvelles formes de supports impliquent de s'adapter, de se former constamment. On a assisté au retour du vinyle, à l'arrivée du prêt d'instruments... Ce métier est un laboratoire : on expérimente, on teste, on se réinvente sans cesse afin que la musique garde sa légitimité en bibliothèque. C'est parfois compliqué de trouver sa place comme discothécaire en sachant que toutes les musiques sont accessibles en un clic sur le Net. Nous avons donc un rôle de prescripteur et de défricheur, d'où l'intérêt d'être spécialisé dans le domaine. C'est un métier que j'adore, où il faut être multiple, s'adapter et être créatif.

Dominique : C'est un métier qui a fortement évolué depuis les années 2 000. Même si le travail sur les collections est moins important qu'il y a une quinzaine d'années, il reste au cœur de nos missions. La musique a toute sa place en médiathèque mais il est vrai qu'elle est désormais présente de façon plurielle (numérique, usage sur place, collections, médiation, prêt d’instruments, de partitions, encouragement des pratiques amateurs…)

Steven : La médiation et surtout la diversification des propositions me semblent essentielles pour continuer à toucher des publics dont les pratiques autour de la musique ont largement évolué. En effet, il n’est pas question de rivaliser avec les plateformes de streaming en ce qui concerne l’écoute musicale, par contre nous conservons un rôle de prescripteur et de conseil. Nous sommes toujours là pour faire découvrir à notre public de nouvelles choses, sans oublier notre rôle de conservation et d’accès à un certain patrimoine musical. Mais nous devons également nous placer sur d’autres créneaux comme la pratique amateur (piano en libre accès, prêt d’instruments de musique…), les concerts, les partenariats avec les écoles de musique ou autres… Bref, c’est en multipliant les « niches » ainsi que les services et actions spécifiques que nous toucherons des publics plus larges.

 

Et vous ? Comment vous voyez-vous professionnellement dans 10 ans ?

 

Jean-Jacques : J’aurai ouvert un bar à concerts, un lieu de rendez-vous des musiciens et des amateurs de musique, dans la campagne rennaise, dans un cadre verdoyant, près d’une rivière, avec une belle scène dans une grange aménagée…Je me serai orienté vers la programmation musicale d’une SMAC…Je serai en tournée avec mes potes car notre groupe connaitra un p’tit succès...J’aurai créé une entreprise de matériels d’animations spécifiques pour les médiathèques, des expos clé en main…Ou plus probablement, j’entamerai ma 32e année à St-Jacques où j’aurai fait évoluer, au cours du temps, l’Espace Cinéma/Musique en un lieu où le public aimera profiter de tout ce qui a été évoqué avant, et assistera en réalité augmentée, au 1er concert, depuis leur reformation, des Daft Punk !

Pierre : Je ne sais pas vraiment comment je me vois, car dans le domaine de la musique il y a beaucoup d'évolution ! On prêtera peut-être des cassettes audio ! Mais je pense que le CD sera toujours là ! Peut-être qu'on reviendra au vinyle, peut-être qu'on alliera nouvelles technologies et anciennes, peut-être qu'on fera des concerts en réalité virtuelle… J'espère que je continuerai à être spécialisé dans la musique car, ici dans les biblis de Rennes, la règle est de tourner et de changer de domaine de spécialité tous les 3 ans. Pourtant je pense qu'on a besoin de spécialistes.  Mais je resterai attentif aux pratiques des usagers car c'est certain, le métier va continuer d'évoluer !

Dominique : Sans doute au même endroit. Des travaux d'extension sont prévus et la médiathèque va proposer de nouveaux services (prêt d'instruments notamment) et de nouveaux usages possibles sur place.